Nous entamons dès à présent le règne de Mohamed Essadek Bey qui succédera à son frère M’hamed et s’était fait introniser douzième bey de la dynastie husseinite.
Plusieurs faits et perturbations ont éclaboussé le règne de Mohamed Essadek Pacha Bey bey, long de vingt-trois ans. Citons principalement la révolte de Ali Ben Ghedhehom, en avril 1864, l’insurrection de son frère Adel en 1867 et le fameux traité de protectorat signé le 12 mai 1881.
Faut-il signaler au début que le règne de ce bey avait un cachet spécial dans la mesure où il avait succédé au serment prêté par le nouveau bey devant l’assistance pour veiller au respect et à l’application du Pacte fondamental établi lors du règne de son frère M’hamed.
A l’issue de l’allégeance, Mohamed Essadek Pacha Bey fut à son tour nommé El Mouchir. L’insigne d’El Mouchir, qui lui revenait de droit, a été ajouté à celui son frère M’hamed et son cousin Ahmed et a été considéré par la suite comme étant l’emblème officiel de la souveraineté beylicale.
Approbation du nouveau bey
L’approbation de ce bey a été fêtée à deux reprises : une première fois juste après son intronisation, lorsque le bey avait reçu l’émissaire délégué du Sultan ottoman qui lui avait remis le décret de régence et l’insigne d’honneur et une seconde fois en avril 1861 suite au décès du Sultan Abdelmajid qui fut remplacé par son frère Abdelaziz. A cette occasion, Mohamed Essadek Pacha Bey avait reçu, une seconde fois, l’émissaire du nouveau sultan d’Istanbul qui avait gratifié le bey de l’insigne d’honneur tout en lui remettant une épée dorée ainsi qu’une lettre confidentielle rédigée par le Sultan Abdelaziz.
Le pacte de sécurité
En vue de concrétiser l’œuvre de M’hamed Pacha Bey concernant l’application du Pacte fondamental de 1857, le nouveau bey avait autorisé, le 19 août 1860, la création d’un conseil supérieur groupant plusieurs membres afin d’élaborer l’ensemble des lois qui seront par la suite considérées comme les assises fondamentales du pacte en question.Les membres de ce conseil étaient au nombre de quatre-vingt-un (81), tous issus de la gent intellectuelle du pays : les illuminés, parmi les dignitaires de Tunis, les haut fonctionnaires d’Etat, les membres de la jurisprudence, les oulémas, les cheikhs religieux. Ce fut donc un conseil éclairé présidé par Mustapha Saheb Ettabaa, assisté par le vizir Kheireddine… El Mouchir Med Essadek Pacha Bey considérait que ce pacte est le porte-garant de la réussite de sa politique à l’intérieur et à l’extérieur du pays et de sa ligne de conduite. Il ne fallait pas oublier qu’il avait prêté serment à Dieu pour son respect et l’application de ses lois.A cet effet, il est intéressant de signaler que ce bey, tout fier et déterminé à assurer la concrétisation de ce pacte et à autoriser l’application des lois qui en découlent, avait confectionné lui-même un insigne d’honneur en émeraude rouge qu’il avait appelé l’insigne du pacte où figurait au centre le nom «M’hamed» et dans le pourtour le nom de «Mohamed Essadek», porte-garant du pacte et tenait à l’exhiber au cou à l’occasion des fêtes et des cérémonies.
Edition du premier journal tunisien
Le 20 juillet 1860, Mohamed Essadek Pacha Bey avait donné l’autorisation de lancer à Tunis une imprimerie pour l’édition des journaux d’information et des livres. Le journal principal de cette imprimerie (considéré a priori comme le premier journal tunisien) est hebdomadaire et porte le nom de «Erraïed Ettounsi». L’homme de Lettres, le cheikh Ali Abdallah Husseïn, président du conseil municipal de Tunis, a été nommé responsable de cette imprimerie. Il veillait aux éditions des livres et journaux d’information, au respect des règles professionnelles fondamentales en vue d’informer les lecteurs et éviter toute forme de dénigrement.
De même, l’imprimerie de Tunis devait suivre une ligne de conduite apte à s’aligner à la politique du royaume et ne pas diffuser des articles pouvant discréditer et nuire à l’image de marque de la régence de Tunisie.
L’interdiction du baise-main
El Mouchir Mohamed Essadek Pacha Bey avait promulgué le 20 juin 1860 un décret beylical interdisant le baise-main et le baise-épaule.
Voilà ce que stipulait ce décret : le baise-main est autorisé uniquement au bey de trône lors des réceptions officielles du palais.
– Au bey de camp lorsqu’il chapeaute un contingent de soldats (El Mhalla).
– Aux membres de la famille husseïnite : le fils ou père, le neveu à l’oncle, le moins âgé au plus âgé (l’aîné).Par contre, tous les vizirs, les dignitaires de la cour, les notables, les hauts fonctionnaires ne font plus l’objet de baise-main de la part de leurs subalternes.Tous les princes de la famille royale et même les fils du bey de camp ne font plus aussi l’objet de baise-main ni de baise-épaule; leur salutation se fait uniquement par la main.
Séjour du bey en Algérie
El Mouchir Mohamed Essadek Pacha Bey s’était rendu en Algérie le 21 septembre 1860 pour rencontrer le roi de France Napoleon 3.
C’est à Alger que ce roi avait reçu le bey de Tunis avec tous les honneurs et tous les prestiges et l’avait décoré de l’insigne français, première catégorie. Par ce voyage, Mohamed Essadek bey a voulu intensifier les rapports entre la France et le Royaume de Tunisie et assurer un climat amical entre les deux pays.
Faut-il rappeler que, pour ce même objectif, son cousin Ahmed Pacha Bey s’était rendu en France en novembre 1846 et a été l’hôte privilégié du roi de France Louis-Philippe. Durant son absence, le bey Med Essadek avait délégué son pouvoir à son frère le bey de camp Hammouda. Durant cette absence d’une semaine tout s’était passé convenablement.
Insurrections
El Mouchir Mohamed Essadek Pacha bey avait régné de 1859 à 1882. Son règne a été menacé à deux reprises par deux insurrections.
– La première, c’était en août 1860 lorsqu’un homme de Djebel Khemir du nom de Mohamed Ben Abdallah, prétendant être originaire de Bagdad et descendant chérifien «le futur El Mahdi El Montahar» (d’après ses dires), avait réussi à regrouper autour de lui quelques sympathisants naïfs et immatures, qui l’avaient cru sur parole, en vue de se révolter et renverser «l’ordre mondial» et accomplir la noble mission du Djihad au nom de Dieu.Ayant appris cette nouvelle, et sentant le danger, Léon Roche, le consul français, avait recommandé au bey de se débarrasser illico-presto de cet individu qui fut arrêté à temps au Djebel Khemir par la M’halla beylicale, guidée par le bey de camp Hammouda. Remis à Mohamed Essadek Pacha bey, l’homme de «descendance chérifienne» fut jugé et condamné à mort le 30 août 1860. La seconde insurrection date de septembre 1867 lorsque Mohamed El Adel, le frère benjamin du bey, s’était réfugié avec quelques partisans à Djebel Khemir en vue de tenter de renverser le bey et accaparer le pouvoir.
L’historien analyste, Mohamed Salah Mzali, précise dans son œuvre «L’héritage du trône chez les Husseïnites» que deux raisons avaient poussé le frère du bey Mohamed El Adel à agir de la sorte : la première résulte du refus de Med Essadek bey de régler les dettes accumulées par ce dernier vis-à-vis de divers commerçants de la place; la seconde résulte du tempérament naïf et immature de Med El Adel (l’insurgé) qui croyait aux signes de l’astrologie, quelques voyants lui ayant soufflé à l’oreille que la voie de la prospérité est évidente, que son destin s’éclaircit, que l’heure de s’asseoir sur le siège de souveraineté est fin prête et qu’il ne fallait pas rater l’occasion de le faire ! Prévenu à temps et afin de mater cet éventuel soulèvement, le Bey avait envoyé une trentaines de soldats chevaliers, guidés par le bey de camp Ali (qui avait remplacé Hammouda après son décès) au Djebel Khemir. Ali, aidé par sa troupe, avait réussi à capturer Med El Adel et à le livrer au bey. Le rebelle a été emprisonné et condamné à la prison à perpétuité; l’insurgé n’a pas survécu longtemps, il mourut le 5 novembre 1867.
Selon le bruit qui courait au palais, il aurait bu un café empoisonné. Med Essadek bey avait déjà condamné à mort à la hâte et d’une façon abusive quelques amis et partisans du prince Med El Adel, impliqués selon le bey dans cette sale affaire mais sans preuves accablantes. Par cette condamnation en groupe, Mohamed Essadek Bey a été trop sévère et tyrannique car parmi les condamnés figurait le commandant de l’armée Errachid qui avait chapeauté la troupe militaire tunisienne en Crimée en 1856 pour défendre le sultanat ottoman. Y figurait également le militant sunnite Ismaïl Saheb Ettabaa qui avait rendu de grands services au beylicat…
(à suivre)
Source :
– «Athafl ahl zemène», de Ahmed Ibn Abi Dhiaf
– «L’héritage du trône chez les Husseïnites», de Mohamed Salah Mzali